Paris vaut bien une petite soupe !
Le 8 mai 2021, sur Le blog

Le 1er avril 1992, la une de la Voix du Nord était barrée d’un titre rageur : « Est-ce bien raisonnable ?» J’avais moi-même, en qualité de rédacteur en chef, intitulé mon édito Abus de confiance.

A l’époque les élections du conseil régional avaient donné lieu à ce que de Gaulle résumait d’une formule assassine, après son échec au référendum sur la décentralisation : « Chacun va donc maintenant faire chauffer sa petite soupe, sur son petit feu, dans sa petite marmite et dans son petit coin ». Il fustigeait, à sa manière, les arrangements à la petite semaine.

En l’occurrence, ce fut plutôt une petite nuit puisque Marie-Christine Blandin, représentante des Verts à l’époque, décrocha le fauteuil de présidente de la région à 3h24 du matin, au nez et à la barge des poids lourds de l’époque, Michel Delebarre (PS), Jean-Louis Borloo (Centre droit), Jacques Legendre (UPF) et Carl Lang (FN). Sortie du néant (elle pesait moins de 3%), elle avait bénéficié du sabordage de la gauche et de la droite. Chez les socialistes, on préférait un président du Pas-de-Calais pour succéder à Noël Josèphe ; à droite le maire de Valenciennes, présenté comme futur présidentiable, inspirait trop de crainte chez les partisans de Legendre, le maire de Cambrai. « Lui élu, on en prenait pour douze ans » avoua l’un des acteurs de cette farce.

 C’était il y a trente ans. On avait bradé la région industrielle du Nord-Pas-de-Calais au moyen de calculs d’épiciers, on avait spolié les électeurs au cours d’une nuit de dupes.

En 2021, rien n’a changé. Le monde d’après fleure toujours bon la magouille et les coups tordus. Et si Henri IV s’était écrié « Paris vaut bien une messe » en se convertissant au catholicisme, lui le protestant convaincu, afin d’être sacré roi de France, Emmanuel Macron pourrait reprendre en écho « Paris vaut bien une soupe » pour justifier l’arrivée d’Eric Dupont-Moretti dans la bataille des régionales des Hauts-de-France.

A qui veut-on faire croire, en effet, que le garde des sceaux débarque dans le Pas-de-Calais pour en découdre avec Marine Le Pen, lui le natif de Maubeuge qui partage désormais son temps entre Paris et le sud ensoleillé du pays ? Il est de passage et en service commandé dans les brumes régionales, le temps d’affaiblir Xavier Bertrand avant l’autre échéance, la présidentielle de 2022. Tant pis si cela fait le jeu du Rassemblement National qui, après la région PACA, la deuxième en poids économique de France, pourrait subtiliser la troisième, la nôtre. Emmanuel veut son duel avec Marine, point final. Nous serons des victimes collatérales.

On l’aimait bien, Me Dupont-Moretti. Une sueur bouillonnante perlait sur sa robe d’avocat, composée de colères contre l’institution judiciaire, d’indignations parfois théâtrales, de convictions savamment distillées au jury. Du grand art que ces déclarations répétées quasiment à chaque procès d’assises, à quelques centimètres du visage d’un juré tremblotant : « Si vous condamnez cet homme, vous aurez jugé, mais vous n’aurez pas rendu la justice ».

On aime beaucoup moins Monsieur Dupont-Moretti. Il a raccroché sa robe au porte-manteau et l’a troquée contre un costume de ministre un peu trop cintré pour sa corpulence. Il s’est en quelque sorte défroqué en abandonnant les prétoires pour épouser les cercles du pouvoir.

La politique abime ceux qui n’y sont pas préparés.

Elle balaie une vie d’engagement pour ne laisser qu’une médiocre ambition.

Elle fait sienne le constat cynique de Talleyrand : « En politique, il n’y a pas de convictions, il n’y a que des circonstances. »

André Soleau

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